Couvre-feu en RDC : Covid-19 ou péage 2.0 ?

Article : Couvre-feu en RDC : Covid-19 ou péage 2.0 ?
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22 mars 2021

Couvre-feu en RDC : Covid-19 ou péage 2.0 ?

Depuis une éternité, ma plume est sèche. Pour cette première kinoiserie de l’année, j’aborde un sujet qui énerve : le couvre-feu. Serrez vos ceintures, le vol s’annonce tumultueux.

Décrété le 16 décembre 2020, le couvre-feu est entré en vigueur 2 jours plus tard pour briser la chaine de contagion du coronavirus. Dès sa petite enfance, la mesure a suscité moult contestations. Ultracrépidarianistes, les Congolais voulaient à tout prix comprendre la corrélation entre le couvre-feu et la Covid-19. « Le virus de Wuhan serait-il devenu noctambule », interrogeaient certains. Pour les autorités, il fallait coûte que coûte contourner une valse de malades et le couvre-feu avait réussi sous d’autres cieux. Dans un pays où l’Etat est démissionnaire et le système de santé déficitaire, le pire serait incontrôlable. Au Congo, on connait le sens de « mieux vaut prévenir que guérir ».

D’autres prédisaient carrément l’échec de cette mesure impopulaire. Surtout à Kinshasa, une ville qui sait tout, sauf dormir. Le temps, ennemi du mensonge, a fini par donner raison à ceux-là. Kinshasa est réputée fêtarde. Décréter un couvre-feu en cette période de l’année était donc perdu d’avance.

Dans les couloirs, certaines rumeurs présageaient la menace d’un mouvement insurrectionnel. Pour ceux qui soutenaient cette thèse, le couvre-feu devrait permettre de renforcer la sécurité dans la ville, la Covid-19 n’étant que la partie apparente de l’iceberg.

Après la 2e vague, la bonne blague

Des semaines passent, les fêtes aussi. La deuxième vague, elle, n’a jamais eu lieu, sauf dans la newsletter du comité de riposte que je me suis finalement lassé de lire. Au 22 mars, les chiffres officiels font état de « seulement » 1 954 cas actifs dans tout l’ensemble du pays. S’il faut prendre en compte que plus de 60 % d’infectés sont asymptomatiques (ou bénins), on se demande pourquoi le couvre-feu demeure.

D’ailleurs, même s’il court toujours, le couvre-feu n’a jamais été observé à Kinshasa. Depuis le 18 décembre, je suis presque toujours rentré après 21 h et jamais je n’ai été inquiété.

La mesure, censée lutter contre la Covid-19, a plutôt lutté contre les poches vides des policiers. Le terrain est tellement juteux que j’ai vu certains militaires égarés s’y mêler. La semaine passée, alors que je rentrais à mes heures préférées, ma montre affichait 22 h. Devant le célèbre camp Kokolo, nous étions une dizaine à attendre le bus, alors que les militaires faisaient les 100 pas sans nous inquiéter. « L’Etat de droit plante ses racines au pays de béton », vous dites-vous. Bien, attendez la suite !

Quelques minutes après, un taxi-moto freinait devant nous. Curieusement, les militaires se précipitèrent et l’arrêtèrent, l’accusant d’avoir violé le couvre-feu. Et nous, dans tout ça ? A Kinshasa, les couvre-feu se résume au rançonnage des véhicules et des motos.

La scène n’est pas anodine. Les artères de Kinshasa vivent, depuis 3 mois, le régime de péage. « Dès 21h30, les policiers, voire les militaires, montent des barrières de fortune. Pour traverser, il faut payer quelque chose », raconte un chauffeur que j’ai rencontré à Bandal. Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les hommes en uniforme s’en réjouissent. « Couvre-feu elongwa te (traduit, ‘il ne faut pas que le président lève cette mesure’) », a lancé un policier à victoire, alors que j’assistais à des scènes de « péage ».

Le président de marbre, des voix se lèvent

La population, vouée à elle-même, est obligée de se soumettre à cette extorsion. Dans une ville où les routes sont médiévales et le transport en commun précolonial, les embouteillages prennent parfois quatre ou cinq heures. Pendant ce temps, les plus courageux tentent de plaider pour la levée du couvre-feu sans que personne n’y prête attention. Dans l’autre sens, les politiques s’en foutent complètement, eux qui n’ont jamais connu le couvre-feu. Les récentes réjouissances de l’Union sacrée tard dans la nuit faisant foi. Faudrait-il que je cite la récente fête à la Buckingham palace de Kinshasa ?

Le peuple, lui, est loin d’être la priorité. Il est le cadet des soucis des autorités, et croyait pourtant au célèbre « le peuple d’abord ». Désormais, il a appris à comprendre le sens du slogan non énoncé : « le pouvoir d’abord, le peuple plus tard ».

Dandjes LUYILA

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